19 avril 2017

17-04-17 Brimstone


Le champs-contre champs final de Brimstone m'interroge encore, longtemps après la vision du long-métrage, et c'est bien cette interrogation qui anime mon travail critique autour du
film. J'ai bien une idée de ce qui se joue à ce moment-là, dans cette courte succession finale de plans. Mais avant d'étayer davantage cette interprétation, j'ai l'idée d'aller faire un tour sur la toile pour voir ce qui se dit au sujet de Brimstone.
D'abord, évidemment, c'est les sphères mainstream de la critique ciné qui apparaissent en premier et là, impossible d'y échapper: télérama semble briller, une fois de plus, sur son esprit d'analyse et sa créativité littéraire. Allons voir ça de plus près...
alors, que retenons nous de cette critique... "western vaguement féministe".... "ersatz de La nuit du chasseur et de Django unchained"... regard sur la violence complaisant... esthétisé et boursouflé... logique de surenchère... Dakota Fanning parvient à apporter douceur et sobriété....
Bon, ne tournons pas autour du pot, je réfute catégoriquement chacun de ces points concernant Brimstone, ou alors nous n’avons pas vu le même film.
Brimstone n'est pas un film sujet à interprétation, ou plutôt il est, in-fine, mais pas au point d'avoir cette divergence d'opinion au sujet d'un même film...
La réception critique sur allociné à l'air meilleur avec certains contributeurs qui n'hésite pas à y voir une parabole de la résurgence des extrémismes religieux et du fanatisme en général dans notre monde contemporain. C'est déjà mieux, on se rapproche, même si Brimstone n'est évidemment pas qu'un bête catalogue de préjugé et autre doigt pointé vers la dérive communautariste ou sectaire qui se profile en ce moment. Sur allociné, au moins, on s'y accorde en général pour lui trouver plutôt des qualités cinématographiques.
Bon revenons sur Google, et continuons notre aperçu général pour se rendre compte que, partout, il est question d'un western, ce qui me pose là aussi problème, mais on va y revenir, promis.
Je passe sur la critique des Inrocks (qui, je cite: "on se lasse vite de ce personnage de prédateur fanatique, de ses versets bibliques d’outre-tombe et de son avidité sexuelle" parce que, bon, c'est vrai, le film aurait pu rendre l'inceste et le viol plus passionnant, enfin!) et rapidement sur la critique lowstream, où, quand on ne verse carrément pas dans la complaisance graphique, on tombe dans les plus plates considérations cosmétique, confondant le travail d'analyse filmique avec le tuto maquillage sur youtube.

Bref, vous l'aurez bien compris maintenant, il existe autour de Brimstone beaucoup de malentendu, un épais brouillard d'embrouille, une liste récurrente de reproches ou de qualités faites au film qu'il convient rapidement de trier.

Brimstone serait donc un western féministe... Fausse pioche selon moi, puisqu'il n'est jamais question de jugement ou d'autorité dans le point de vue, et si le film est raconté du point de vue d'une femme, c'est bien celle-là, et pas une autre (du moins, in fine une fois encore, sa descendance directe).

Pendant qu'on y est, Tarantino et La nuit du chasseur sont cité à tout bout de champs, alors qu'il faudrait davantage rapproché Brimstone d'un film comme La Chair et le Sang de son compatriote Verhoven. Il me semble que cette filiation est beaucoup plus intéressante pour exprimer le classicisme du film, qui n'est pas du tout formaliste, ou à une exception près qui convient confirmer la règle. Oublier les effets de style des films précédemment cité. Si Brimstone s'en rapproche, c'est davantage par parenté thématique ou narrative mais bon, Tarantino n'a pas le monopole du récit déconstruit.

Dans Brimstone, il y a un saloon, des pendaisons et des cowboys. Mais Brimstone n'est pas un western. D'ailleurs, lors d'un affrontement entre un cowboy protagoniste et l'horrible personnage interprété par Guy Pearce, ne voit-on pas un gros plan de cette poche rempli de pépite d'or tombé par terre, comme inutile à l'action, dont l'oubli est particulièrement pointé, comme pour marquer la distinction du genre western dans lequel la quête de l'or est une objectivité parfaite.
Si Brimstone est un film de genre, c'est bien du côté du film d'horreur, teinté de fantastique, qu'il faudra regarder, avec son lot d’apparitions et de sursauts, de morts hors-champs et de supplice psychologique, son boogey-man et sa malédiction persistante. Car, et nous touchons au but, n'est-il pas plutôt question, au finale, d'une marque sur la nuque, transmise au front de l'enfant, et qui fera sens tout au long du film, douloureux calvaire de persécution, semblable au long couloir de poncif du slasher. Ne voit-on pas mourir cet affreux pasteur maintes et maintes fois, brûlé une première fois, égorgé, avant de rôtir droit devant nos yeux sans vraiment mourir, continuant d'argumenter sur son propre calvaire, avant de prendre un coup de fusil supplémentaire, à bout portant, et de traverser  une fenêtre pour définitivement disparaître du film, comme Meyers à la fin du premier Halloween. Peut-être faudrait-il là aussi remonter à une autre référence cinématographique, celle d'un M le Maudit de Lang, dont Brimstone partage les motivations criminelles, la ritournelle sifflée et cette histoire de marque maudite!
Je crois que la religion, tout comme le genre western, est également une fausse piste, un contenant pour quelque chose de beaucoup plus profond, presque de la métaphysique de cinéma où le point de vue (cette plongée aérienne récurrente) n'est pas celui de Dieu, mais du spectateur, le notre, du film lui même qui se rappel à l'action, révélant son procédé filmique au grand jour, comme pour le faire respirer. La mise-en-scène, dans Brimstone, si elle est toujours à hauteur d'homme, s'en échappe parfois non pas pour styliser le cadre inutilement, mais plutôt pour y sublimer l'instant, le faire exister autrement, en accord avec l'artifice cinématographique. C'est d’ailleurs par ce procédé que passe tout le propos du film, à savoir le travestissement d'un genre dans un autre (le film d'horreur plutôt que le western), trompant un à un ses sujet (ni film sur le propos religieux, ni sur la condition féminine), s'éloignant du carquant habituel du classicisme hollywoodien (non, ce film n'est pas un film sur l'amérique).
Brimstone, c'est plutôt, à l'image du récent film anglais The Witch, un film de folklore a tendance parabolique, c'est vrai, dont la courte succession finale de plan, justement, éloigne la trop facile allusion du loup et des brebis pour revenir à quelque chose de plus ancestrale, une véritable plongée dans la biologie primitive de l'homme, partagés entre ceux qui aime, fragiles et intelligible, et ceux qui n'ont pas connaissance de l'autre autrement que comme une proie, un adversaire ou un danger.
Brimstone, film très intéressant bien qu'imparfait, est peut être un vrai récit sur l'homme à l'état de nature, extrêmement romanesque et teinté d'un sentimentalisme parfois déplacé (comme ce plan sur le sourire final de la protagoniste sous l'eau...) mais c'est avant tout une vrai proposition, presque religieuse justement, de cinéma.
Brimstone, au bout de ses 2h25 de film, demande cette prouesse à ce spectateur, un peu assommé: d'aimer plutôt que de haïr.
Selon la citation consacrée, le cinéma "substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs".
Le champ-contre-champ final c'est exactement cette promesse pour les amoureux du cinéma de genre que, quelque part, rien n'est fini, et tout recommence, à l'orée d'un bois, ou dans la lumière d'un matin nouveau, que tout perdure et devient éternel sur l'écran de notre propre regard. 




Brimstone: IMDB

Date de sortie: 22 mars 2017 (2h 25min)

Avec Guy Pearce, Dakota Fanning, Kit Harington
Synopsis et détails:
Interdit aux moins de 16 ans
Dans l’Ouest américain, à la fin du XIX siècle.
Liz, une jeune femme d’une vingtaine d’années, mène une vie paisible auprès de sa famille.
Mais sa vie va basculer le jour où un sinistre prêcheur leur rend visite.
Liz devra prendre la fuite face à cet homme qui la traque sans répit depuis l’enfance…