Le crime de l'orient express, façon Kenneth Branagh, est une revisite plutôt réussi de l'univers d'Agatha Christie. Cette réussite tient principalement dans l'épaisse couche de pathos que l'acteur/réalisateur a voulu insuffler à son personnage principale, inventant des plages de solitudes et un passif complètement absent du roman. Poirot n'est plus un simple passeur de point de vu pour le lecteur, mais est devenu un véritable protagoniste de l'action, avec une épaisseur et une psychologie complètement inédite jusqu'ici. Du coup, le film n'est plus vraiment le "whodunit" procédural attendu, mais un film sur Poirot lui-même, véritable attraction principale du métrage, dont la métaphysique et les préoccupations vont bien au-delà d'une simple routine d'enquête autour d'un crime.
Marque des temps, peut être, l'ambiance générale du film est plutôt dépressif et sombre, presque cynique, à mille lieu des colorations précédentes autour de l'oeuvre de Christie, notamment pour la télévision anglaise. Branagh oblige: on se croirait plus dans une adaptation de La Tempète de Shakespeare que d'un roman policier.
Branagh est tellement impliqué dans son étude de Poirot (de lui-même) que le film frise avec l'abstrait, abandonnant ses longues plages picturales (production value à la Harry Potter qui, soit dit au passage, sont remarquablement inséré dans le montage et le récit) pour laisser le visage du comédien en gros plan lors de très long monologue. L'essence théâtrale n'est effectivement pas très loin. Cependant, le film est également remarquable d'un point de vue de la mise-en-scène, la caméra virevoltant autour du train (toujours cet objet-train, kilomètre zéro du cinéma) où à l'intérieur de celui-ci, inventant de toute ces forces des plans qui ne sont pas sans rappeler les prouesses formelles du Transperceneige et du Dernier train pour Busan avant lui. Il faudrait d'ailleurs ce pencher définitivement sur cette filiation entre cinéphilie et locomotive: Le crime de l'orient express, version Branagh, en tire tout son avantage lorsqu'il s'agit, dans son dernier tiers, de faire vivre Poirot autrement qu'avec les mots du théâtre ou de la littérature. Jean Epstein avait écrit, dans son essai: le Cinéma du diable, que le spectacle cinématographique d'alors avait passé la moitié de sa vie à se travestir avec le théâtre ou la littérature. C'est justement l'obsession du cinéaste anglais lorsqu'il fait exister, dans son cadre, le visage déconfit de Poirot, vacillant sur ses convictions, tandis que derrière lui, tout l'espace restant du cadre, dans son entier, est occupé par la locomotive déraillée de l'Orient express.
Le petit coup de manche final qui appel au Nil et à une normalisation de la franchise selon les standards actuels du cinéma mainstream américain est en fait, contre toute attente, extrêmement palpitante: ce n'est pas tant la promesse d'assister à une nouvelle procédure policière tarabiscotée qui nous excite, mais plutôt de retrouver Poirot, comment il vieillit, ce qui a changé en lui, ce qu'il est devenu.
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