Avec beaucoup de retard (je sais pas comment vous faites, vous autres, pour arriver a concilier vie de famille, enfants, travail, lecture, films et jeu vidéo...) voici le nouveau podcast de Ravages blog avec les deux compères habituels. On y cause de nombreux films et on débat pas mal aussi à partir du dossier.
Avec, bien sur, de nombreux quizz et fou rires pour émailler le tout.
PS: désolé pour la qualité du son, j'ai voulu tenter quelque chose de nouveau avec une table de mixage virtuel qui nous permettait d'écouter le même son tous ensemble (comme les virgule audio ou les extraits musicaux) mais malheureusement, cela ne m'a pas permis de faire mes enregistrements séparé comme à l'habitude. Je corrige le tir pour la prochaine.
Je me fais tout le temps avoir avec Xavier Beauvois, c'est dingue.
A chaque fois que j'apprend la sortie d'un de ses films et que je regarde la bande annonce d'un œil curieux, j'ai (je l'avoue) beaucoup de mal à m'enthousiasmer. Quel erreur! Et à chaque fois la même. A croire que je ne m'y ferais jamais!
Si, dans le fracassant Des hommes et des Dieux on avait laissé le cinéaste à la frontière entre la clarté et l'obscurantisme (pour ne pas dire la victoire de l'obscurantisme), on retrouve ici, dans le Gardienne, cette même envie de voir apparaître ou disparaître les protagonistes, comme des corps en proie malgré eux à une écrasante idéologie hors champs (cette fois-ci, la guerre, la sale guerre).
En un plan, sublime (disons-le tout de suite: chaque plan est sublime), voilà l'un des fils qui s'en va, partant au loin sur la route, vers un hors-champs brumeux, abstrait, une disparation (la mort l'attend au bout) tandis que, tout du long, comme pour retarder cette disparition, il se retourne, continuant d'avancer, regardant ce qu'il sait être pour la dernière fois l'endroit qui l'a vu naître, grandir, éduquer (il est instituteur) et qui devient, maintenant, sous nos yeux le témoin de son annihilation.
Le film situe son récit exactement un siècle avant son propre tournage: c'est un choc entre deux monde. Voir les personnages qui l'anime travailler, subir, vieillir, grandir, s'éprouver, manger le fruit de leur travail, en un mot vivre leur époque, c'est une proposition fabuleuse, extraordinaire.
Les intrigues familiales qui tissent la narration du film passe aussi par ça: le beurre que confectionne Francine avec la mère Paridier, ce même beurre que l'on retrouve sur la table lorsque la mère interpelle sa propre fille sur la raison du renvoi de Francine (la confrontation et la rumeur), c'est l'incarnation même de cette rupture culturel entre hier et aujourd'hui. Peu à peu, la modernité mécanique, industriel, fait irruption dans la vie de la ferme. Bientôt, ce beurre moulé à la main aura disparu, et l'idéalisme qu'il a incarné mourra avec lui. L’obscurantisme est partout, hors champ, bien évidemment, mais in fine au cœur même de la vie des Paridier: c'est tout le drame du film que cette décision (cette injustice, cette renonciation dramatique, contre nature, cette abandon de soi, de ce qui est semble juste contre ce qui doit l'être). C'est aussi là que triomphe, une fois encore, l'obscurantisme. Comme un mal absolu, inaliénable. Éternel.
Les gardiennes est un film lumineux, avec une mise en scène et en image sublime.
Les gardiennes est un film prodigieux, par son casting, par les moyens qu'il mets en oeuvre (décors, costumes, accessoire, tout est dans le véritable) jusqu'à son train, flamboyant, apparaissant à deux reprises (comme un liens avec ce hors-champs meurtrier). J'en profite pour dire d'ailleurs à quel point, décidément, l'objet train, au cinéma, devient une occurrence cinéphile, le kilomètre zéro du cinéma, de la Bête humaine de Renoir jusqu'au récent Crime de l'Orient express de Kenneth Brannagh, en passant par le TGV de De Palma dans Mission impossible ou la locomotive en mouvement, insaisissable, du combat final de Grand Master de Wong Kar Wai. C'est l'objet par excellence à travers lequel va s'exprimer, de façon consciente ou non, la filiation que le cinéaste entretien avec son film, son oeuvre, comment il se situe dans cette histoire du Cinéma. Ici, avec Les Gardiennes, voici un objet (le train) qui incarne parfaitement ce lien entre modernité et obscurantisme, puisque c'est lui qui emmène à la guerre (vers les disparitions ou l'origine des cauchemars) tout en symbolisant, au même titre que le tracteur américain qui fera son irruption vers la fin du film, ce passage vers un idéal moins pénible, assisté, dénaturé peut être, mais sauvegardant tout de même la famille Paridier de la ruine (puisqu'il est forcément une alternative à la disparition des hommes, décimés en masse, dans le milieu rural à ce moment).
Je le redis encore une fois: il faudra que je revienne, à l'occasion, longuement sur ce paradigme de plus en plus présent dans le cinéma contemporain. Fin de la parenthèse.
Enfin, Les Gardiennes est un film courageux, et c'est là tout le point du film: faire une telle proposition de nos jours, à rebours de tout ce qui ce fait en la matière, c'est ce qu'il y a de plus courageux. Faire exister un tel film aujourd'hui, dans un paysage cinématographique de plus en plus restreint, c'est une entreprise complètement (financièrement?) insensée et en même temps quelque chose d'essentiel, une oeuvre à la portée de n'importe quel spectateur, au pouvoir ludique incomparable.
Un film qui a su saisir son temps et nous remettre en place. Un parfait remède contre un obscurantisme cinéphile de plus en plus prégnant.
1915. A la ferme du Paridier, les femmes ont pris la relève des hommes partis au front. Travaillant sans relâche, leur vie est rythmée entre le dur labeur et le retour des hommes en permission. Hortense, la doyenne, engage une jeune fille de l'assistance publique pour les seconder. Francine croit avoir enfin trouvé une famille...
Avec Mother!, Arronofsky s'attache à cryptographier un récit déjà lourd en allégorie: relation entre l'artiste et son oeuvre, relation entre le créateur et sa fabrication etc... D’ailleurs, le film menace pendant toute son introduction de se livrer comme un remake déguisé du Rosemary's baby de Polansky. Avant que le soufflet ne retombe et patauge dans un gros délire créationniste: le premier homme qui entre dans la maison, la blessure aperçu à son flanc avant de ne voir débarquer la première femme, puis leur deux enfants qui s’entre-tuent pour une histoire d'héritage... Adam, Eve et leur rejeton. A plusieurs reprise, le cinéaste répète inlassablement son motif: Jennifer Lawrence est une incarnation de la mère Nature, et la maison, avec qui elle entretient ce lien fusionnel, la planète terre. Bardem est donc le démiurge. Au sens strict, platonicien du terme.
On peut également y voir une métaphore du cinéaste entrain de se dépatouillé avec son propre objet filmique, puisque Jennifer Lawrence a décidément bon dos. Le délire fonctionne à plein. D'ailleurs, et dès les première séquence, aucune raison de s'en cacher: la maison est au milieu de nulle part, littéralement. Quelque chose cloche pour le touriste cinéphile venu visiter le dernier monument du cinéaste New-yorkais qui, il faut bien se l'avouer, sait attirer le chalands.
On peut lire partout, et avec la jubilité dérisoire habituelle, ici et là, dans la presse papier ou numérique, que le film fait sensation, qu'il divise son public entre détracteur et pro-Arronofsky. En fait il n'en est rien, puisque chacun peut y trouver midi à sa porte. Le conflit est purement artificiel puisque le film veut à tout prix s'adresser à tout le monde. A la fin, malheureusement pour lui, il ne s'adresse plus personne.
Reste l'actrice, en tension continue, monstre d'incrédulité. Et ce final, tout en accélération, qui arrive pendant un moment, complètement fou, à capturer l'essence d'un rêve (ou d'un cauchemar plutôt) fait la nuit et duquel il nous reste quelques birbes le matin au réveil, avant que celui-ci ne disparaisse à jamais de notre mémoire. Pour cet instant, et cet instant seulement, le film vaut donc son coup d’œil curieux.