Si Mute souffre d'être un téléfilm (car c'est ce qu'il est, explicitement, produit par et pour le petit écran), il n'en demeure pas moins romanesque, et ce souffle narratif, cette envergure de l'histoire sied parfaitement au format télé. Sur bien des aspect, Mute reprend le cahier des charges plastiques et techniques de n'importe quel pilote de série télé moyenne, avec une emphase sur la localisation et les décors, un intrigue multipolaire, et des personnages plus complexe que d'ordinaire. Même le héro du film, souvent traité de "simplet" par son entourage, se veut plus profond et ambiguë que son mutisme et sa retenu ne le laisse penser.
Mute, c'est la rencontre entre le film noir façon Raymond Chandler et l'univers cyber-punk directement hérité de William Gibson lui-même. Pendant les deux heures et des poussières que dure le film, on aurait presque l'impression de toucher le livre, de tourner les pages au fur et à mesure que les chapitres s’enchaînent. Chaque personnage à l'épaisseur d'une description tranquille, posée, loin des conventions cinématographiques, des notions de "gentils" et de "méchants" tout de suite identifiable pour le spectateur moyen. On peut comprendre que la construction très détaillé de l'univers de Mute puisse perdre une partie de son audience en cours car il ne répond à aucun critère de cinéma mainstream ni même de poncifs "indé" du genre. Mute est un objet filmique vraiment unique, une oeuvre fabriquée avec soin et sur le long terme, avec des compromis souvent maladroit (qu'il soit d'ordre narratif ou technique, voir les deux) mais compensé par une explosion de détails qui rendent l'univers de Mute si tangible et saisissant. Je me souviens, lors du long et très complexe plan d'introduction à la salle de bowling, avoir aperçu une jeune femme au premier plan entrain de bouger ses doigts dans le vide sans qu'on est vraiment le temps de saisir à quel activité elle se livrait. Je me rappel m'être dit, à ce moment-là, qu'il s'agissait peut être d'une coquille
de dernière minute, d'un oubli d'incrustation, d'un manque de budget pour la post-production d'effets spéciaux. Et puis, quelques séquences plus loin, nous voilà introduit auprès d'un personnage dont l’existence filmique ne durera que le temps d'une simple scène, et durant laquelle celui-ci s'adonne à une sorte de jeux en réalité augmenté, un premier plan nous montrant une vision subjective du dit jeux et un autre le détails de ses yeux "augmentés". Voilà, j'avais la réponse à mon interrogation. Et je veux dire: dans Mute, tout est comme ça, histoire de détails, ça fourmille de partout, c'est passionnant. Même certains détails d'ordre purement scénaristique peuvent mettre la puce à l'oreille: pourquoi, par exemple, le personnage de Léo est Amish, quel est la place des Amish dans ce monde, et plus particulièrement dans cette géo-politique, dans ce néo-Berlin (un plan, trés tôt dans le film , en dit beaucoup là-dessus)? Il faudra être attentif à la question pour mieux comprendre son geste dans le face à face qui l'opposera à Cactus en fin d'intrigue. Mais il faudra aussi avoir le souvenir de cette courte introduction sur son passé, son enfance et son accident traumatique, et la place qu'occupait, par exemple, sa jeune soeur dans cette séquence pour mieux comprendre sa relation avec Naadirah. Avez vous remarquez à quel point la jeune soeur de Léo est présente dans les premiers plans du film, comme si elle allait en être le protagoniste principale? Et le raccord entre son passé et le présent, entre le regard de cette soeur et la photo dans le cadre sur la table de chevet, représentant Naadirah. De même, le titre du film, arrivant discrêtement sur le carnet d'expression de Léo, à son chevet d'hôpital, tandis que se pose une lourde interrogation: où est la figure paternelle là-dedans.
Il y a matière à beaucoup s'interroger dans le film, et Mute est suffisamment généreux (et bien fabriqué) pour apporter quelques éléments de réponse où ouvrir, au contraire, le champ des interrogations. Dans tous les cas, Mute est toujours passionnant. Ici, pas de discours caché sur le monde contemporain, pas de déclaration à la "black mirror" sur ce qui est bien ou mal, ou douteux moralement et éthiquement. Mute est un film quand même exigeant, parfois déviant, à l'imaginaire presque plus proche d'un film comme Brazil plutôt que de Blade Runner. N'en déplaise aux "fanatique" de ce dernier: si Mute reprend exactement l'univers de Blade Runner à son compte, c'est plus celui, original, issu de l'esprit de K.Dick que sa version d’esthète, de clip de luxe signé Ridley Scott.
Mute risque de divisé, c'est sûr, mais constitue un grand moment de ce début d'année en terme d'expérience cinéphile. Voyons voir ce que le toutim de la presse spécialisée et des internautes en ont pensé.
http://www.lepoint.fr/pop-culture/cinema/mute-le-nouveau-film-sf-de-netflix-qui-n-a-rien-a-dire-27-02-2018-2198120_2923.php
Mute, le nouveau film de SF de Netflix qui n'à rien à dire...
https://www.lesinrocks.com/2018/02/25/cinema/mute-de-duncan-jones-un-nouveau-long-metrage-rate-pour-netflix-111051464/
un nouveau long-métrage raté
https://www.ecranlarge.com/films/news/1014287-mute-le-nouveau-film-sf-de-duncan-jones-sorti-sur-netflix-se-fait-detruire-par-la-critique
Mute : le nouveau film SF de Duncan Jones sorti sur Netflix, se fait détruire par la critique
https://www.leblogducinema.com/critiques/mute-neon-froid-critique-866844/
Peut-on vraiment parler de science-fiction au sujet du problématique MUTE
http://www.syfantasy.fr/27049-Mute_loeuvre_dune_vie_manquee_par_Duncan_Jones
Mute, l'oeuvre d'une vie manquée par Duncan Jones
https://www.journaldugeek.com/critique/critique-mute-netflix-ne-trouve-voix/
Netflix ne trouve pas sa voix
https://www.forbes.com/sites/insertcoin/2018/02/25/netflixs-mute-isnt-just-bad-its-almost-unwatchable/
Mute n'est pas juste nul, c'est presque irregardable...
https://www.rottentomatoes.com/m/mute/#contentReviews
Ok. Bon. Il semblerait que le monde entier soit passé à côté de Mute. Je veux dire, je peux comprendre que le film ne plaise pas, mais de là à dire, unanimement, que c'est de la mauvaise SF, c'est affreux. Ça montre à quel point la culture littéraire de certain peut être limitée. Mute, c'est du pur Gibson. Par exemple, quiconque a lu Gibson comprend mieux l'analogie entre Léo et les dauphins. Les Dauphins. Je veux dire, lisais Gibson, et vous comprendrez le faux-semblant. Tiens, d'ailleurs, voyons ce qu'en dit le principal intéressé:
https://twitter.com/greatdismal/status/967270258925948928?lang=fr
"Mute fait quelque chose que j'avais jusqu'ici supposé que seul la prose pouvait faire. Le pouvoir, en un million de petits détails terriblement cohérents et dévastateurs, de l'histoire d'un monde entièrement suggérée. Un cauchemar proche dans sa ressemblance avec le présent."
Non mais franchement, quand je lis certaine critique, je me demande sur quel pied danser. Quand on voit la reception critique d'un bidule comme la saison trois de Twin Peaks...
https://www.rottentomatoes.com/tv/twin_peaks/s03/
https://www.lesinrocks.com/2017/05/31/cinema/twin-peaks-un-retour-au-top-11949838/
(Kaganski: Avec la saison 3 de sa série phénomène, David Lynch continue d’ensorceler. Magistral.)
https://www.forbes.com/sites/lukethompson/2017/05/22/review-the-revived-twin-peaks-proves-we-can-have-nice-things/
(The Revived 'Twin Peaks' Proves We Can Have Nice Things)
extrait: https://www.youtube.com/watch?v=Vz9PtCVTH3w (kyle maclahan a sa tête qui disparaît)
J'aurais encore une -ou deux choses- à ajouter: non, le lien entre Moon et Mute n'est absolument pas puéril, encore moins un simple gimmick! Mais bon sang...
-Sans parler du caméo de Sam Rockwell dans la peau de Sam Bell, l'astronaute de Moon, simple accessoire scénaristique pour appâter les fans et permettant de créer un "mooniverse" (dixit Jones)
https://www.ecranlarge.com/films/critique/1014284-mute-critique-qui-n-a-rien-a-dire)
Mais posez vous la question d'un tel lien entre les deux films! De quoi parlez Moon: d'un mec qui se faisait cloner sans le savoir. JE veux dire, c'est comme le bébé chat dans Children of men (extrait) qui nous faisait poser la question suivante: qu'est ce que c'est que cet univers où l'homme n'arrive plus à enfanter tandis que les animaux, eux, le peuvent encore... Ici, même type d'interrogation: on passe le film à suivre Léo, en espérant qu'il retrouve ce qui lui manque (sa mère, sa sœur, ou sa fille, que ce soit sous la forme de la patrie, d'une amante ou d'une filiation artificielle), c'est à dire l'amour (et le sentiment amoureux, chez un amish, c'est pas tout a fait la même chose que celui de Love Story ou de Pretty Woman) dans un univers où, justement, on reproduit, on clone, on fait continuer à vivre, même, une fois encore, artificiellement. N'était-ce pas non plus, in fine, le sujet de Source Code?
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