Il y a quelques années déjà, deux ou trois ans en arrière, peut être quatre, le film de genre It Follows de David Robert Mitchell faisait la démonstration - élégante- qu'une formule aussi simple et banale que le panoramique était en vérité absolument complexe, propice à la construction d'un projet de mise-en-scène certes, tape à l’œil dans le cas du film de genre, mais suffisamment sophistiqué pour réveiller les plus exigeants des spectateurs cinéphiles. On sentait, depuis l'incroyable panoramique d'ouverture, jusqu'à ses nombreuses répétitions tout au long du film, que quelque chose se mettait en place et évoluait discrètement, passant d'une formule (le panoramique vers l'extérieur, formule de l’évitement) à une autre (celle, inversée, du panoramique vers l'intérieur, signifiant le piège, la cage, la prison).
En ces temps où justement la grammaire cinématographique du cinéma -comme celle de la langue d'ailleurs- a plutôt tendance à s'appauvrir, à se simplifier dangereusement notamment en épousant le format feuilletonesque, l’hygiène télévisuel revenant à son tour sur le grand écran comme une contamination, une pandémie, la découverte d'un film aussi généreux qu'It Follows fut suffisamment significatif pour en faire un évènement marquant, voir l'évènement le plus marquant de l'année de sa sortie.
En bon obsessionnel de cette éternelle grammaire, Brian de palma s'est ainsi récemment confié sur cette appauvrissement en déclarant, à propos de l'esthétique des séries télé, qu'au finale, "ce n'est jamais que deux personnes qui se parlent aux milieu d'un plan". Le nouveau film de Kathryn Bigelow entend justement, à son tour, revisiter une vieille formule, si vieille qu'on en oublie souvent jusqu'à son existence: le champ/contre-champ.
Ce qui est assez admirable, avec Detroit, c'est que le film entreprend justement de ramener au premier plan un évènement historique longtemps passé sous silence, une petite histoire écrasée par la grande, dont l'importance est pourtant considérable, de la faire revivre cette petite histoire donc, à l'instar de la formule du champ/contre-champ, tandis qu'aujourd'hui ce même évènement dramatique ne cesse de se répéter, tragiquement, au point de provoquer, au-delà de l'indignation qu'il suscite, l'indifférence molle de la population, en général.
Comme j'ai pu l'expliquer dans ma précédente critique du film Detroit, j'ai personnellement commencé à m'interroger sur le projet de mise-en-scène de la cinéaste que tardivement dans le film, à l'occasion d'une extraordinaire séquence de discussion entre un médecin légiste et le père d'une des victimes de l'Algiers Motel. Entièrement construite sur un simple champ/contre champ, la scène se déroule dans un couloir, tandis qu'une infirmière entre et traverse la pièce pour ressortir de l'autre côté. Cette temporalité, ce "en passant" et accompagné d'un changement de ton dans le dialogue, dont le pivot se situe dans le passage du champ au contre-champ, d'un échange empathique, fraternel (on y parle du fait d'avoir des enfants, de les voir se comporter comme des enfants), à un ton tranché, sinistre malgré tout, réaliste, médical presque, mais bienveillant (il est temps d'aller voir le corps à la morgue).
Le champ/contre-champ, c'est donc d'abord, et essentiellement, la formule du dialogue, de l'échange. C'est la construction d'une dialectique, un pont, un passage d'un terme à un autre, d'un individu à son interlocuteur. Ni y'a t'il pas une dangereuse ironie que de choisir cette formule du dialogue, pour un film qui va aborder avant tout les déficit de communication, l'absence d'échange au sein des populations d'un même pays, la difficulté de construire un pont fraternel et égalitaire entre ces population? Voici donc l'extraordinaire difficulté du film, que de renverser discrètement cette formule, celle du champ/contre-champ, avec pour projet ambitieux que de retrouver une unité, une constitution entre les deux termes (le champ, et le contre-champ). J'en profite également pour signifier à quel point la dimension anti-spectaculaire du cinéma de Bigelow (on repense aux explosions du démineurs, d'abord vu par le prisme de la secousse infime, macroscopique de la poussière qui se soulève sur la taule d'une épave de voiture en opposition au nuage de poussière colossal qui se dégage de l'explosion elle-même, volonté de ne pas faire de la guerre, ou du moins de l'un de ses aspects, un spectacle), à quel point, donc, cette dimension anti-spectaculaire est ici à son apogée: extrême discrétion que ce projet de mise-en-scène, jamais tape à l’œil, souvent recouvert par un "effet" de reportage, saisissant, certes, provoquant l'emphase, comme un direct simulé, mais dont la stylisation à été, à tords je pense, souvent trop déterminante dans les diverses appréciations qu'on a pu entendre au sujet de Detroit en particuliers et du cinéma de Bigelow en général.
Pour en revenir à cette formule du champ/contre-champ: comment construire une telle formule, lorsque l'un des deux termes à le visage collé au mur, de force, le dos tourné à son interlocuteur? Juste retour problématique: comment construire un champ/contre-champ lorsque la partie afro-américaine du public assistant au procès final refuse de se lever à l'énoncé des verdicts, malgré les protestation du juge?
La courte séquence animée (qui introduit Detroit à partir d'un rapide rappel historique des mouvement migratoire entre l'Afrique et l'Amérique du Nord lors des siècles récents) est construite autour de l'idée d'un plan séquence, d'un mouvement de caméra unique, d'un seul plan au sein duquel se succèdent plusieurs tableaux, "coulant" les uns dans les autres, de façon assez primitive, comme un magma. C'est évidemment en opposition à la formule du champ/contre-champ, indissociable de la notion de "montage", complexe déjà en elle-même, et dont le film entend davantage complexifier justement sa transformation.
A des faits historiques donc, relaté de façon assez directe, universelle (le dessin animée) et fluide, comme une leçon d'Histoire, s'oppose donc la difficile transformation d'une formule déjà complexe, à l'image de l'évènement que le film entend relater et sur lesquels il entreprend de faire toute la lumière possible (à l'orée de la recherche et de la reconstitution, comme le stipule le carton final). Comme un phénomène de mimétisme, finalement, entre le fond et la forme. Avec une discrétion et une élégance rare, la réalisatrice entame donc son projet de mise-en-scène le plus ambitieux jusqu'à présent, bien loin des stylisation tonitruante du tout-venant cinématographique actuel.
A chaque fois qu'un champ/contre-champ existe, se sera toujours entre deux termes opposés (la jeune fille à la fenêtre et le char d’assaut, le père de la victime et le médecin légiste). A chaque fois, l'un des deux termes est plutôt significatif du vivant, tandis qu'en face se profil le mécanisme de mort, le funèbre. Il y a une opposition dérisoire, souvent autour d'un mur, d'une fenêtre, d'un mal-entendu, une méprise, tandis que, quitte à mourir, l'autre terme, le plus faible en apparence, veut faire face.
Même lorsque les policiers assassins se retrouvent dans la même position que leur victime, face à une porte de bureau derrière laquelle se joue leur destin, on se retrouve dans cette opposition dérisoire. C'est l'idée que, malgré les préjugés culturels et les croyances absurdes, toute les population (noir, blanc, ouvrier, policier, peu importe) sont sur un pied d'égalité naturel, indivisible, inviolable.
A la toute fin du film, une courte séquence se concentre sur le destin de Larry Reed, alors que celui-ci abandonne ses aspirations pour vivre, dans sa pauvreté, un nouveau chemin, un nouveau dialogue, spirituel celui-là. Aussi dramatique que ce destin peu apparaître en conclusion du film, il y a une certaine unité, comme une reconstruction, un aboutissement dans la construction que le film entreprend autour de l'idée du champ/contre-champ. Lorsqu'il avait le visage face au mur, et tandis qu'on lui ordonnait de faire sa prière, celui-ci s'était mis a chanté, "un gospel" s'exclame l'un de ses tortionnaire en riant, tandis que Reed commence un autre dialogue, un autre espace de champ/contre-champ dont il devient, in fine, l'unique objet, le tenant et l'aboutissant, les deux termes de l'échange en même temps. La caméra le film, en gros plan, chantant, de trois quart derrière lui, le perd le temps d'un réglage de focus. Il faudra un court insert sur le pianiste pour retrouver Reed de l'autre côté de sa choral, toujours aussi cadré sur le visage, avec la distances de ses choristes flous, en amorce. Tout comme le personnage qu'incarne John Boyega se retrouve à l'usine entrain de tailler, de polir, juste avant de devoir "construire" sa version des faits, la mise en scène de Bigelow est donc toujours en mouvement, en fusion, en construction, taillant la forme, ponçant ses plans, cherchant une certaine forme de vérité qui n'est accessible que par le Cinéma. En faisant face à Reed, tout comme le père de l'une des victimes de l'Agiers motel doit faire face à la mort de son fils, de Motor Town à Motown, puis de Motown jusqu'à Motor Town, s'est construit tout un réseau de circulation, d'échange, d'unité, d'indivisibilité, d'empathie. Voici donc comment m'est apparu ce courageux projet de mise-en-scène assez héroïque même, incitant discrètement à s'indigner, à chercher dans le passé les erreurs du présents, à faire face, tout simplement.
En ces temps où justement la grammaire cinématographique du cinéma -comme celle de la langue d'ailleurs- a plutôt tendance à s'appauvrir, à se simplifier dangereusement notamment en épousant le format feuilletonesque, l’hygiène télévisuel revenant à son tour sur le grand écran comme une contamination, une pandémie, la découverte d'un film aussi généreux qu'It Follows fut suffisamment significatif pour en faire un évènement marquant, voir l'évènement le plus marquant de l'année de sa sortie.
En bon obsessionnel de cette éternelle grammaire, Brian de palma s'est ainsi récemment confié sur cette appauvrissement en déclarant, à propos de l'esthétique des séries télé, qu'au finale, "ce n'est jamais que deux personnes qui se parlent aux milieu d'un plan". Le nouveau film de Kathryn Bigelow entend justement, à son tour, revisiter une vieille formule, si vieille qu'on en oublie souvent jusqu'à son existence: le champ/contre-champ.
Ce qui est assez admirable, avec Detroit, c'est que le film entreprend justement de ramener au premier plan un évènement historique longtemps passé sous silence, une petite histoire écrasée par la grande, dont l'importance est pourtant considérable, de la faire revivre cette petite histoire donc, à l'instar de la formule du champ/contre-champ, tandis qu'aujourd'hui ce même évènement dramatique ne cesse de se répéter, tragiquement, au point de provoquer, au-delà de l'indignation qu'il suscite, l'indifférence molle de la population, en général.
Comme j'ai pu l'expliquer dans ma précédente critique du film Detroit, j'ai personnellement commencé à m'interroger sur le projet de mise-en-scène de la cinéaste que tardivement dans le film, à l'occasion d'une extraordinaire séquence de discussion entre un médecin légiste et le père d'une des victimes de l'Algiers Motel. Entièrement construite sur un simple champ/contre champ, la scène se déroule dans un couloir, tandis qu'une infirmière entre et traverse la pièce pour ressortir de l'autre côté. Cette temporalité, ce "en passant" et accompagné d'un changement de ton dans le dialogue, dont le pivot se situe dans le passage du champ au contre-champ, d'un échange empathique, fraternel (on y parle du fait d'avoir des enfants, de les voir se comporter comme des enfants), à un ton tranché, sinistre malgré tout, réaliste, médical presque, mais bienveillant (il est temps d'aller voir le corps à la morgue).
Le champ/contre-champ, c'est donc d'abord, et essentiellement, la formule du dialogue, de l'échange. C'est la construction d'une dialectique, un pont, un passage d'un terme à un autre, d'un individu à son interlocuteur. Ni y'a t'il pas une dangereuse ironie que de choisir cette formule du dialogue, pour un film qui va aborder avant tout les déficit de communication, l'absence d'échange au sein des populations d'un même pays, la difficulté de construire un pont fraternel et égalitaire entre ces population? Voici donc l'extraordinaire difficulté du film, que de renverser discrètement cette formule, celle du champ/contre-champ, avec pour projet ambitieux que de retrouver une unité, une constitution entre les deux termes (le champ, et le contre-champ). J'en profite également pour signifier à quel point la dimension anti-spectaculaire du cinéma de Bigelow (on repense aux explosions du démineurs, d'abord vu par le prisme de la secousse infime, macroscopique de la poussière qui se soulève sur la taule d'une épave de voiture en opposition au nuage de poussière colossal qui se dégage de l'explosion elle-même, volonté de ne pas faire de la guerre, ou du moins de l'un de ses aspects, un spectacle), à quel point, donc, cette dimension anti-spectaculaire est ici à son apogée: extrême discrétion que ce projet de mise-en-scène, jamais tape à l’œil, souvent recouvert par un "effet" de reportage, saisissant, certes, provoquant l'emphase, comme un direct simulé, mais dont la stylisation à été, à tords je pense, souvent trop déterminante dans les diverses appréciations qu'on a pu entendre au sujet de Detroit en particuliers et du cinéma de Bigelow en général.
Pour en revenir à cette formule du champ/contre-champ: comment construire une telle formule, lorsque l'un des deux termes à le visage collé au mur, de force, le dos tourné à son interlocuteur? Juste retour problématique: comment construire un champ/contre-champ lorsque la partie afro-américaine du public assistant au procès final refuse de se lever à l'énoncé des verdicts, malgré les protestation du juge?
La courte séquence animée (qui introduit Detroit à partir d'un rapide rappel historique des mouvement migratoire entre l'Afrique et l'Amérique du Nord lors des siècles récents) est construite autour de l'idée d'un plan séquence, d'un mouvement de caméra unique, d'un seul plan au sein duquel se succèdent plusieurs tableaux, "coulant" les uns dans les autres, de façon assez primitive, comme un magma. C'est évidemment en opposition à la formule du champ/contre-champ, indissociable de la notion de "montage", complexe déjà en elle-même, et dont le film entend davantage complexifier justement sa transformation.
A des faits historiques donc, relaté de façon assez directe, universelle (le dessin animée) et fluide, comme une leçon d'Histoire, s'oppose donc la difficile transformation d'une formule déjà complexe, à l'image de l'évènement que le film entend relater et sur lesquels il entreprend de faire toute la lumière possible (à l'orée de la recherche et de la reconstitution, comme le stipule le carton final). Comme un phénomène de mimétisme, finalement, entre le fond et la forme. Avec une discrétion et une élégance rare, la réalisatrice entame donc son projet de mise-en-scène le plus ambitieux jusqu'à présent, bien loin des stylisation tonitruante du tout-venant cinématographique actuel.
A chaque fois qu'un champ/contre-champ existe, se sera toujours entre deux termes opposés (la jeune fille à la fenêtre et le char d’assaut, le père de la victime et le médecin légiste). A chaque fois, l'un des deux termes est plutôt significatif du vivant, tandis qu'en face se profil le mécanisme de mort, le funèbre. Il y a une opposition dérisoire, souvent autour d'un mur, d'une fenêtre, d'un mal-entendu, une méprise, tandis que, quitte à mourir, l'autre terme, le plus faible en apparence, veut faire face.
Même lorsque les policiers assassins se retrouvent dans la même position que leur victime, face à une porte de bureau derrière laquelle se joue leur destin, on se retrouve dans cette opposition dérisoire. C'est l'idée que, malgré les préjugés culturels et les croyances absurdes, toute les population (noir, blanc, ouvrier, policier, peu importe) sont sur un pied d'égalité naturel, indivisible, inviolable.
A la toute fin du film, une courte séquence se concentre sur le destin de Larry Reed, alors que celui-ci abandonne ses aspirations pour vivre, dans sa pauvreté, un nouveau chemin, un nouveau dialogue, spirituel celui-là. Aussi dramatique que ce destin peu apparaître en conclusion du film, il y a une certaine unité, comme une reconstruction, un aboutissement dans la construction que le film entreprend autour de l'idée du champ/contre-champ. Lorsqu'il avait le visage face au mur, et tandis qu'on lui ordonnait de faire sa prière, celui-ci s'était mis a chanté, "un gospel" s'exclame l'un de ses tortionnaire en riant, tandis que Reed commence un autre dialogue, un autre espace de champ/contre-champ dont il devient, in fine, l'unique objet, le tenant et l'aboutissant, les deux termes de l'échange en même temps. La caméra le film, en gros plan, chantant, de trois quart derrière lui, le perd le temps d'un réglage de focus. Il faudra un court insert sur le pianiste pour retrouver Reed de l'autre côté de sa choral, toujours aussi cadré sur le visage, avec la distances de ses choristes flous, en amorce. Tout comme le personnage qu'incarne John Boyega se retrouve à l'usine entrain de tailler, de polir, juste avant de devoir "construire" sa version des faits, la mise en scène de Bigelow est donc toujours en mouvement, en fusion, en construction, taillant la forme, ponçant ses plans, cherchant une certaine forme de vérité qui n'est accessible que par le Cinéma. En faisant face à Reed, tout comme le père de l'une des victimes de l'Agiers motel doit faire face à la mort de son fils, de Motor Town à Motown, puis de Motown jusqu'à Motor Town, s'est construit tout un réseau de circulation, d'échange, d'unité, d'indivisibilité, d'empathie. Voici donc comment m'est apparu ce courageux projet de mise-en-scène assez héroïque même, incitant discrètement à s'indigner, à chercher dans le passé les erreurs du présents, à faire face, tout simplement.
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